Bilan de l'action 2006-2007 entreprise en faveur des Assistants d’Education

Publié le par sud pion

Dans un précédent article, paru au début de l’année scolaire, SUD Educ faisait le point sur les Assistants d’Education, trois ans après la création de leur statut, afin d’envisager la manière dont la lutte de 2002-2003 des MI/SE pouvait être prolongée. Nous y décrivions comment cette réforme, sous couvert de modernisation et d’adaptation aux besoins contemporains de l’Ecole et de la société, cherchait en réalité à remettre au pas et au travail des agents de l’Etat « notoirement incompétents, peu enclin à l’effort et généralement contestataires ». Nous y montrions que les processus de décentralisation du recrutement et de redéfinition de la relation contractuelle[1], accompagnés d’une réorientation tacite de la mission de surveillant[2], avaient impliqué pour ces nouveaux surveillants un renforcement de l’asymétrie de la relation hiérarchique, une perte de conscience de groupe et donc une mise en concurrence des surveillants entre eux. Nous évoquions les implications concrètes de cette nouvelle donne : précarisation des conditions de travail et d’étude pour les AE, imperfection accrue de la relation éducative élève/surveillant et remise en cause du droit de syndicalisation. Nous analysions comment cette redéfinition du rôle et du statut des surveillants s’inscrit en fait dans une offensive économico-politique globale, qui vise plusieurs objectifs. Tout d’abord, il s’agit de participer à la réduction des dépenses étatiques et de favoriser la pénétration de la logique marchande dans la sphère publique, au nom de « la concurrence libre et non faussée ». Ensuite, il est question d’instrumentaliser l’Ecole au service d’un projet libéral et disciplinaire, dont l’esprit est de faciliter l’intériorisation par les élèves des valeurs de concurrence, d’individualisme, de flexibilité, de subordination et ainsi de « fluidifier » leur insertion docile sur le marché du travail. Enfin, conformément à la déclaration de Lisbonne, il s’agit pour les chefs d’Etat et de gouvernement de transformer le secteur éducatif afin de  faire de l’Union Européenne l’économie du savoir « la plus compétitive et la plus dynamique au monde ».

Fort de ce constat, il nous apparaissait urgent de relever collectivement la tête et de participer, au sein de SUD Education, à la résistance contre la subordination de l’Ecole aux intérêts des pouvoirs économiques et politiques. Résistance constructive, bien sûr, en luttant pour l’idéal d’une institution éducative émancipatrice de l’individu et promotrice des valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité.

Le but de ce nouvel article, conformément au principe de transparence démocratique cher à SUD Education, est de rendre compte des actions menées depuis la rentrée 2006-2007 en faveur des AE.

Gardant en ligne de mire la suppression pure et simple de la loi relative aux AE, nous avons adopté une démarche pragmatique afin de répondre aux difficultés concrètes vécues au quotidien par cette nouvelle catégorie de surveillants. Aussi, désireux de dépasser une pure position de principe pseudo-révolutionnaire, nous avons agi selon la logique suivante : obtenir partout et pour tous, le maximum de ce que rendent possible les nouveaux textes en terme de droits, si insuffisants soient-il. Nos revendications se sont en conséquence structurées autour de deux axes : les conditions de recrutement (objectif : transparence du processus et généralisation des contrats de trois ans) et les conditions de travail (défense des personnels contre les abus de pouvoir de la hiérarchie directe et réorientation de la mission vers des finalités réellement éducatives).

Le premier travail fut donc d’effectuer un effort d’information approfondi et continu, afin de contrecarrer par le droit les pratiques injustes, conséquences de l’ambiguïté des textes, de l’absence de formation des AE eux-mêmes, de l’absence d’interlocuteurs impartiaux et, parfois, de l’attitude revancharde de certains proviseurs ou CPE à l’encontre du corps des surveillants. Pour pallier au manque d’assurance, au sentiment de solitude et même de fatalisme des AE, il nous semblait en effet important de mettre en relief les pratiques notoirement critiquables à leur encontre ainsi que l’inégalité de leur gestion d’un établissement à l’autre.

Voilà comment nous avons mis en œuvre ce premier chantier. D’abord, nous avons travaillé à développer un blog dédié aux surveillants, à l’intérieur duquel se trouve diverses informations : droits des AE, droits des MI/SE, références aux textes réglementaires, préavis de grève, faits divers, actualités plus générale, liens vers les sites SUD Educ, vers les sites de l’Académie de Caen et du Ministère de l’EN, numéros de téléphone de nos élus, de nous-mêmes, adresse de la boîte mail SUD spécialement créée pour les pions (cette boîte mail a beaucoup servi, la plupart du temps pour informer les collègues AE sur leurs droits, mais aussi les collègues MI/SE). Nous avons également publié, comme nous l’évoquions en introduction, un article dans le bulletin départemental de SUD Education 14, ainsi que dans le journal fédéral. Nous avons recherché des données précises concernant les AE en activité (c’est dans cette logique que nous avons été amenés à rencontrer, comme nous le développons plus loin, le service de gestion des surveillants du rectorat). Enfin, nous avons animé un certain nombre d’Heures d’Information Syndicale (HIS), programmées dans plusieurs établissements de l’Académie. Après un bref historique de la lutte des « pions », replacée dans un contexte global, et la présentation des actions entreprises par SUD Education, la priorité y était donnée à la discussion et à l’échange. Outre le jeu des questions/réponses, le récit des expériences individuelles et collectives s’est avéré très enrichissant.

La visibilité de SUD Education et la mise en réseau des surveillants ont ainsi sensiblement progressé.

Le second travail que nous avons accompli touchait à la sphère locale. En fonction au lycée Malherbe de Caen[3] et bénéficiant d’une décharge syndicale pour l’année scolaire en cours, il nous paraissait en effet naturel d’agir au sein de notre établissement. Le fort ancrage syndical du lycée, la résistance à l’application de la réforme AE en 2002-2003 et notre analyse du rapport de force au CA nous laissaient, de plus, augurer un dénouement rapide en notre faveur. Enfin, le non renouvellement, dans des conditions très litigieuses, d’un de nos collègues AE à la fin de l’année scolaire précédente, renforçait notre détermination à porter prioritairement nos revendications en son sein.

Parvenus à nous faire élire au CA, dans la perspective de soumettre au vote nos revendications (notamment l’embauche généralisée des AE sur une période de 3 ans), nous avons multiplié les contacts avec les autres élus (principalement FO, SGEN-CFDT, SNES-FSU, FCPE et les représentants des élèves), laissant rapidement se dessiner une majorité en notre faveur au CA. Après plusieurs débats houleux et une contre-proposition[4] des CPE, le proviseur a tranché la question en refusant de soumettre nos revendications au vote, cela parce qu’il préférait s’aligner sur les positions de nos supérieurs directs, les CPE, à qui il avait délégué la gestion du dossier depuis 2004. Il est intéressant de noter que la contre-proposition émanait d’un CPE en désaccord avec les positions de son propre syndicat sur le sujet (le SNES milite, en effet, en faveur d’un contrat de 3 ans pour les AE).

En somme, bien que la possibilité d’instituer des conditions de recrutement et de travail plus justes ait été balayée d’un geste autoritaire, il semble que les diverses actions menées au sein de notre lycée aient permis de délimiter clairement les positions de chacun, de sensibiliser d’autres catégories d’acteurs du système éducatif (parents d’élèves et enseignants) sur la question des AE et de participer à la prise de conscience de certains collègues quant à la précarité de leur propre situation. Mais la lutte au sein de notre établissement n’est pas terminée. Afin de déjouer une réunion de formation-propagande à destination des AE proposée par un des CPE les plus en butte avec l’ancien statut MI/SE, SUD Education a pris l’initiative de programmer, la semaine suivante, une HIS sur le droit de tous les surveillants. Affaire à suivre.

Dans un troisième temps, nous ne pouvions manquer d’investir le champ d’action académique. L’organisation d’HIS dans divers établissements a en ce sens joué un rôle important, car, outre le travail d’information que celles-ci nous permettaient d’opérer, elles nous offraient l’occasion de tisser des liens, en cherchant à recréer une communauté de surveillants, et d’étendre la lutte, en diffusant nos revendications au delà de notre propre établissement.

Mais agir au niveau académique signifie aussi à l’évidence : agir au niveau de l’administration rectorale. Ayant obtenu une audience auprès des services chargés du dossier « surveillants » (malgré qu’on nous ait préalablement martelé que le rectorat n’avait aucune compétence à l’égard des AE), nous avons cherché à obtenir des réponses concernant un certain nombre d’interrogations liées au caractère extrêmement flou des textes régissant le nouveau statut. Les informations recueillies peuvent être synthétisées en trois points.

D’abord, nous nous sommes assurés de l’existence d’une liste des AE en activité dans l’académie. Pourtant, dans un premier temps, on nous avait certifié que cette liste n’existait pas… Comme la volonté de rétention d’informations administratives est ici flagrante, nous allons faire ce qu’il faut pour nous la procurer, ainsi que la loi le permet.

Ensuite, nous avons appris l’existence d’une circulaire académique stipulant que, dans chaque établissement, il doit toujours y avoir au moins un contrat d’AE d’une durée d’1 an. En fait, le rectorat prévoit systématiquement pour chaque établissement au moins un support de poste AE sur lequel les contrats ne peuvent excéder 1 an ; les autres contrats sur les autres support de postes pouvant en principe aller jusqu’à 3 ans. Les AE deviennent donc explicitement une variable d’ajustement aux contraintes budgétaires imposées par le ministère. Nous soulignons le fait que cette restriction à la durée du contrat entre en flagrante opposition avec les textes en vigueur, lesquels établissent sans équivoque la possibilité d’employer un AE pour 3 ans sans restriction.

Enfin, nous avons à nouveau exprimé notre souhait de voir la Commission Consultative Académique compétente à l’égard des AE se mettre en place ; nous en avions fait la demande à travers un courrier transmis au Rectorat quelques semaines auparavant. Sur ce sujet, nos interlocuteurs nous ont communiqué la bonne volonté rectorale de mettre sur pied cette commission au plus tôt. Néanmoins, cette volonté nous a semblé bien molle, les modalités de son institutionnalisation, ainsi que son champ d’action étant loin d’être claires.

A noter qu’au cours de cet entretien et devant notre insistance concernant des réponses évasives ou contradictoires, nos interlocutrices ont parfois manifesté leur agacement, notamment à propos de la délimitation des compétences du rectorat à l’égard des nouveaux surveillants. Or, nous savons désormais que ces compétences les plus importantes sont les suivantes :

1)      le rectorat ne procède en fait qu’à une seule vérification concernant la légalité des candidatures, celle concernant les déclarations des candidats relatives à leur casier judiciaire – le reste des vérifications devant être faites par les proviseurs.

2)      le rectorat se charge de la dotation de postes en AE pour chaque établissement.

Au terme de ces quelques lignes relatant le travail effectué par SUD Education face au processus de « modernisation » de la machine bureaucratique d’Etat, il peut sembler que les avancées concrètes sont maigres au regard de l’investissement fourni. Malgré tout, elles ne sont pas négligeables pour la cause des AE.

L’instauration de ce nouveau statut, orchestrée par le ministère et le rectorat, a eu pour conséquence une précarisation de la fonction de surveillant, qui se surajoute à la tendance croissante au repli individualiste et à la quasi-absence de solidarité des autres personnels (TOS, enseignants et administration). Les nouvelles responsabilités incombant aux proviseurs et/ou aux CPE, imposées sans concertation par le haut dans un contexte de pénurie, rendent donc inévitables les dérapages et les abus envers les AE. Pour les agents en charge du dossier, qui cumulent maintenant les fonctions de recruteur/évaluateur/supérieur, la solution de facilité consiste souvent à rechercher une optimisation du travail (souvent illusoire) de type managériale difficilement conciliable avec l’éthique du service public (ainsi que la proposition de « périodes d’essai tiroir » des CPE du lycée Malherbe le montre bien).

Dans ce contexte, l’engagement des collègues sur des revendications légitimes d’amélioration des conditions de recrutement et de travail devient risqué pour qui souhaite voir son contrat reconduit. En dépit de ces contraintes indéniables virant souvent au chantage (« tais toi et bosse ou va-t-en ! »), nous pensons qu’il est impératif de sortir de l’état de soumission systématique et de léthargie dans lequel ce statut enferme. Nous rejetons aussi l’attitude fataliste ou cogestionnaire de certains fonctionnaires ou organisations syndicales.

Il nous semble par conséquent que les actions de conscientisation et de revendication entreprises par SUD Education constituent des avancées importantes et participent à la construction des luttes et des conquêtes à venir. Le processus de précarisation du statut de surveillant illustre en effet de manière caricaturale la transformation contemporaine et généralisée des rapports salariaux en France et en Europe. Contre ce projet libéral et disciplinaire, SUD Education, au sein de l’Union Syndicale Solidaires, appelle chacune et chacun à s’engager dans une démarche de résistance de convergence intercatégorielle et interprofessionnelle, afin de rendre effective cette autre Ecole et cette autre société que nous souhaitons.



[1] Durée du contrat variable (comprise entre moins de 1 an et 3 ans, renouvelable sur 6 ans maximum) et augmentation de la durée de travail annualisée pour une rémunération équivalente à l’ancien statut.

[2] Priorité aux fonctions administratives et sécuritaires.

[3] Près de 2000 élèves (second cycle et CPGE), plus de 150 professeurs et 25 surveillants, dont  un peu plus de la moitié embauché comme AE à mi-temps.

[4] La proposition d’un contrat de 3 ans est considérée comme comportant trop de risques pour le fonctionnement du service. La période de « mise à l’épreuve » serait trop courte (l’équivalent d’un trimestre pour un contrat de 3 ans) pour permettre l’évaluation des compétences du nouvel AE, obligeant même l’employeur à adopter une position plus expéditive face à des surveillants qui ne seraient pas « parfaits » dès leur prise de fonction. Elle engagerait de surcroît la direction sur 3 ans sans possibilité de licenciement. La contre-proposition suggère de recruter les AE en deux temps : après un premier contrat d’un an et l’assurance que le salarié a donné tous les gages de satisfaction, le renouvellement intervient pour une période de 2 ans. Cependant, si des doutes persistent, un nouveau contrat d’1 an sera proposé. Outre le peu d’estime que cette argumentation confère aux étudiants salariés, nous ne pouvons nous empêcher de penser que cette attitude renvoie à une volonté sous-jacente de conserver une position de pouvoir et à une vision libérale de l’évolution des rapports salariaux.

Publié dans Assistants d'Education

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